Une stratégie tueuse pour améliorer sa compétitivité

Les bénéfices d’un partenariat entre ONG et entreprises

Les dirigeants des multinationales actives dans les pays en développement sont confrontés à un dilemme stratégique complexe. L’évolution sociale, environnementale et économique a rehaussé le niveau d’exigence en matière de normes imposées aux entreprises occidentales, et ce également pour leurs activités basées dans des pays où les normes réglementaires sont moins sévères. Ne pas respecter ces normes peut porter significativement préjudice à l’entreprise et à ses marques. Toutefois, satisfaire ces normes coûte cher. Et ces coûts empêchent de maintenir des prix concurrentiels vis-à-vis des entreprises basées dans ces pays peu réglementés et qui ne sont pas aussi surveillées que les multinationales occidentales.

Existe-t-il une autre façon d’être compétitif? Pouvez-vous éliminer les inconvénients en matière de coûts, ou même les muer en avantages, et ce sans abaisser le niveau d’exigence des normes? Bonne nouvelle: oui, vous le pouvez. Mais pas à travers de nouvelles stratégies de marché. Pour accomplir cette tâche, vous devez changer les règles du jeu – le paysage réglementaire.

Il y a deux décennies, les entreprises occidentales demandaient une réduction des barrières commerciales alors que les ONG actives dans les domaines de l’environnement, du travail ou des droits de l’homme luttaient pour des normes plus élevées, ce qui leur paraissait le meilleur moyen de faire progresser leurs agendas. Toutefois, plus récemment, le déplacement massif de la production vers des pays low-cost avec des normes réglementaires peu sévères a fait converger les intérêts des ONG et des entreprises occidentales: les entreprises veulent niveler le terrain de jeu; les ONG veulent élever les normes dans ces pays.

La stratégie tueuse
Cette convergence mène tout droit vers ce que je nommerais une « stratégie tueuse »: les entreprises occidentales devraient collaborer avec les ONG pour refaçonner l’environnement réglementaire des pays en développement.
Observons cette proposition du point de vue de l’entreprise. Il se peut que dans certains secteurs, vos normes soient plus élevées que celles exigées par la réglementation, peut-être parce que cela vous offre un avantage réputationnel. Toutefois, cela peut se traduire par une augmentation des coûts opérationnels ou en capital. Vous possédez par conséquent d’excellentes raisons de vouloir augmenter le niveau général des normes réglementaires, de manière à imposer les mêmes coûts à vos concurrents (qui devront alors améliorer leurs propres procédures), tout en y gagnant un nouvel avantage réputationnel.

Il existe plusieurs approches:

1. Travailler seul. Cela ne peut guère marcher parce qu’il est virtuellement impossible qu’une entreprise, agissant seule dans son coin, parvienne à convaincre les législateurs de procéder aux changements nécessaires.

2. Travailler avec un autre groupe industriel. Cela aurait plus d’impact qu’en tant qu’entreprise isolée, mais il est peu probable que vos concurrents soutiennent une action qui leur amène un désavantage concurrentiel. Le résultat le plus probable sera une norme contenant « le plus petit dénominateur commun », ce qui ne fournira pas à votre entreprise l’avantage recherché.

3. Travailler avec des ONG. Une association entre votre entreprise et des ONG réputées, afin de façonner une nouvelle pièce de législation et de faire du lobby pour l’imposer, risque bien d’être efficace grâce à la vaste palette d’intérêts que votre coalition représente. Les politiciens montrent une certaine ardeur à soutenir une législation promue conjointement par des représentants de l’économie et par des ONG crédibles et connues – imaginez seulement les opportunités médiatiques que cela leur offrirait, surtout si ces politiciens se trouvent en période électorale!

Je ne prétends pas que les négociations avec les ONG seront toujours faciles. Votre entreprise souhaitera une législation en ligne avec ses pratiques courantes. Alors que vos partenaires au sein des ONG demanderont probablement des normes encore plus sévères. Toutefois, il devrait être possible de trouver ensemble une solution qui remplit les objectifs des ONG sans être déraisonnablement coûteuse pour votre entreprise.
Le bénéfice le plus évident de cette stratégie est que son probable succès vous offrira un avantage compétitif en ceci que vous pourrez imposer des coûts à vos concurrents. En outre, vous pourrez y gagner un avantage réputationnel significatif pour avoir travaillé avec des ONG afin d’élever le niveau des normes exécutoires dans tout le secteur.

Et les ONG dans tout ça?
Travailler en partenariat avec des ONG est excellent pour les entreprises car cela les aide à changer le terrain de jeu réglementaire et à gagner un réel avantage compétitif. Mais qu’en est-il des ONG? Voudront-elles vraiment s’impliquer?

La bonne nouvelle, c’est que les ONG les plus influentes recherchent de plus en plus souvent ce type de partenariat. De leur point de vue, les campagnes agressives des années 1980 et 1990 ont exigé d’énormes ressources et n’ont obtenu que de maigres résultats de la part des entreprises attaquées.

Les partenariats de coopération avec des entreprises individuelles autour des activités de celles-ci, devenus plus courants ces dix dernières années, sont plus productifs. Cependant, ce type de partenariat a pour résultat qu’une seule entreprise parmi toutes les autres va changer sa manière de faire. De plus, obtenir un changement substantiel au sein d’une unique société reste difficile, car les ONG poussent cette dernière à nager à contre-courant. Souvent en lui demandant d’assumer des coûts plus élevés que ses concurrentes.

Les ONG ont également tenté d’obtenir des normes volontaires à l’intérieur de tel ou tel secteur d’activité. Ce qui permet d’atteindre plus d’une entreprise à la fois. Cependant, de telles normes sont difficiles à négocier, car aucune entreprise ne souhaite ni abandonner un avantage compétitif, ni risquer de se retrouver avec un désavantage compétitif. Et même si de telles normes finissent par être établies, de nombreux problèmes demeurent. Par exemple, la surveillance sera coûteuse et il n’existera aucun mécanisme obligeant les entreprises récalcitrantes à appliquer ces normes.

Compte tenu de la faiblesse de ces approches, la plupart des ONG lorgnent de plus en plus du côté des législations pour faire bouger des secteurs d’activité entiers. Mais, pour ce faire, elles ont besoin des entreprises aussi bien que les entreprises ont besoin d’elles: parce qu’une vaste coalition a beaucoup plus de chances d’influencer le débat politique.

Entreprises et ONG souhaitent changer les règles du jeu. Il leur faut juste construire les bons partenariats.

Par Michael Yaziji, professeur de stratégie et d’organisation à l’IMD, la business school internationale basée à Lausanne. Il dirige le nouveau programme de l’IMD Open Planet Leaders, mené conjointement avec le WWF.

Site officiel de l’IMD, la business school internationale basée à Lausanne

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